L'OR DES CELTES - Valéry LE BONNEC-AKICRAVERI
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Les vagues venaient s’abattre avec force et fracas sur le rivage. Il faisait bon en cette matinée de juin et la journée s’annonçait belle. Le ciel était dégagé, pas un nuage à l’horizon. L’été serait chaud, certainement.
Les petits vieux annonçaient à qui voulait l’entendre qu’une canicule allait s’abattre sur le pays, pire qu’en 1976, pire même qu’en 2003 disaient-ils ! Encore beaucoup des leurs succomberaient à ce moment-là. À cause de ces mesures nécessaires qui restaient dans les cartons !
Mais le sujet le plus important pour l’heure, celui dont tout le monde parlait, le premier au hit-parade des discussions, qu’on fût jeune, vieux ou entre les deux, c’était bien sûr l’histoire de cet homme retrouvé sur la plage deux jours plus tôt.
Un pêcheur l’avait récupéré, à moitié inconscient, marchant le long du rivage, les vêtements trempés, le visage abîmé portant des traces de coups. L’individu avait l’air ahuri, tout droit sorti d’une autre planète, se demandant ce qu’il faisait là. Il ne répondait pas aux questions, semblait même ne pas
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les comprendre. Il refusait de dire son nom, affirmait l’avoir oublié. Par-dessus le marché, il avait perdu ses papiers d’identité !
Le pauvre pêcheur, qui n’était pas non plus né de la dernière pluie, l’amena rapidement à la gendarmerie. L’homme sans nom – c’est ainsi que les villageois allaient désormais l’appeler — n’opposa aucune résistance et sembla même soulagé par cette bienheureuse initiative.
Devant les forces de l’ordre, il récita un couplet semblable à celui qu’il avait initialement servi à son sauveur. Il ne se rappelait plus rien ni qui il était. Que faisait-il errant sur la plage à sept heures du matin ? D’où lui venaient ses traces de coups ? Avait- il été agressé ? Pourquoi était-il trempé ? Comment s’appelait-il ? Qui était-il ?
Bref, des dizaines de questions qui resteraient, de l’avis des gendarmes, quelque temps sans réponses.
Il n’y avait aucun avis de recherche le concernant et personne n’avait signalé sa disparition. Avait-il de la famille ? Était-il de la région ? Il semblait seul au monde.
Du coup, la gendarmerie d’Étel avait tout mis en œuvre pour qu’un parent, une femme
peut-être, un patron, un collègue de travail puissent le reconnaître.
Les commissariats et gendarmeries de toute la région avaient reçu une photographie de l’homme accompagnée d’une banale légende : qui connaît cet homme ? Suivait un numéro de téléphone spécialement mis en place par les services de télécommunications pour l’occasion.
Sans succès. Depuis, la ligne restait vierge de tout appel. Même pas de curieux pour parasiter ou chercher quelques renseignements.
La presse aussi avait été informée. Des articles et des photographies fleurissaient dans les pages locales des quotidiens : Ouest- France et Télégramme. Mais là encore, les enquêteurs faisaient chou blanc. Décidément, personne ne semblait savoir l’identité du mystérieux promeneur de la plage.
Les procédures d’usage ayant été correctement suivies, l’homme ayant été rapidement remis sur pied par les médecins qui l’avaient ausculté, analysé, surveillé. La mairie d’Étel lui avait gracieusement payé quelques nuits d’hôtel au Trianon, le temps qu’il recouvre la mémoire, qu’il refasse surface.
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C’était le moins que l’on puisse faire pour lui. En attendant que quelqu’un le reconnaisse et vienne le chercher.
Il inquiétait toutefois : ces coups, ces bleus sur son visage, son torse, ses membres indiquaient clairement un passage à tabac. Visiblement, il s’était fait frapper. Par qui ? Pourquoi ? Là encore, des questions se posaient sans pour autant trouver de réponses pour le moment.
Deuxième chose : trempé des pieds à la tête, il paraissait avoir passé quelque temps dans l’eau. Là encore bien sûr, les enquêteurs allaient faire correctement leur boulot, car ils pouvaient déterminer combien de temps un homme pouvait séjourner dans l’eau à cette période de l’année.
Pour les gendarmes, l’histoire semblait louche et ressemblait à première vue, soit à une agression purement gratuite (hypothèse peu probable à laquelle ils ne croyaient pas beaucoup), soit à un règlement de comptes (thèse qui leur semblait la plus vraisemblable). Leurs investigations allaient porter sur cette seconde théorie.
C’était le gendarme Dupuis qui était chargé de l’affaire, du moins d’accompagner
le pauvre type dans ses démarches, de l’aider. C’était un jeune, Dupuis, environ vingt-cinq ans. Il était arrivé l’année précédente à la brigade, sa première affectation. Un retour aux sources, en quelque sorte, pour le jeune militaire qui avait quitté la région quelques années durant. Inutile donc de dire que c’était sa première grosse affaire. Il la prenait à cœur, sa mission. On pouvait compter sur lui.
Dupuis trouvait inhumain de ne pas avoir de prénom, de nom. Pire qu’une bête, se disait- il. Même aux chiens, on donne un nom. Il avait donc convenu avec l’homme de l’appeler Yves. C’était sentimental.
Yves, c’était le père de Dupuis mort trop tôt. Le jeune gendarme trouvait qu’il lui ressemblait. Quarante ans environ, propre sur lui, la classe sans trop en faire. L’homme imposait le respect sans vouloir dominer. Yves donc et Dupuis allaient former pendant quelque temps un couple. Un couple dont la quête était la recherche de la mémoire et de la vérité, car un mystère entourait la découverte de l’homme errant un matin de juin sur une plage bretonne.
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2.
La balle s’était écrasée avec une vitesse folle et une précision digne des meilleurs joueurs professionnels. Même Noah en son temps en aurait rêvé ! C’est dire qu’il n’en était pas peu fier, Greg !
Son ami et adversaire du jour : Damien en l’occurrence en resta bouche bée. Planté sur place. Il n’avait pas bougé d’un centimètre. Ça, c’était un superbe ace !
- Waouh ! S’était-il exclamé, qu’est-ce que tu nous as sorti ?
- Ouch ! J’avoue que j’ai eu un peu de chance sur ce coup-là, répondit Greg, modeste.
- Ça fait 30-0 ! On continue ?
- Si t’en as pas marre de perdre, on continue, ironisa Greg. Je te rappelle que je gagne 4-2 dans ce premier set !
- Je sais, mais fais attention à toi ! Je n’ai pas dit mon dernier mot !
Quelques secondes plus tard, les deux adolescents reprirent le jeu de plus belle. Ils échangèrent les plus beaux coups de leur petite carrière de tennismen amateurs. Ace, revers, coups droits, lobes, montées au filet... tout y passait et tout passait. Pas une fausse
note, les deux garçons étaient en état de grâce. Un jour idéal pour le tennis. Ils s’éclataient comme des fous.
Damien s’acharnait comme un beau diable, malgré tout, il ne parvint pas à refaire son retard. Il dut concéder le premier set sur le score serré de 7-5. Il se rendit finalement à l’évidence : Greg était vraiment plus fort que lui.
Ils firent une pause avant d’entamer le deuxième set. Tandis que les deux sportifs s’épongeaient et buvaient à grandes lampées une eau sucrée, ils virent débouler à toute allure, juchés sur leurs VTT, leurs camarades d’aventure : Jean-Charles et Cécilia. Ils avaient eux aussi apporté leurs raquettes et espéraient entamer un double avec les deux autres.
- Vous savez c’qu’on raconte en ville ? lança Jean Charles, l’air conspirateur.
- À quel sujet ? demanda Greg.
- Pfut ! Allez, tu me fais marcher ? Ne me dis pas que t’es pas au courant ? C’est quoi les blabla du moment ?
- Ah ! Tu veux parler de l’homme sans nom ! C’est ça ?
- Nan, du pape ! Oui, bien sûr ! 14
- Et, qu’est-ce qu’on raconte en ville ? interrogea à son tour Damien.
- Ah les gars, vous me faites pitié ! Bon, je vous le dis. Mais promis, vous ne le répéterez à personne. OK ?
- Oui, promirent les deux garçons.
- Eh bien, il paraît que cet homme serait un trafiquant.
- Ah bon ? Et de quoi ? s’enquit Greg, visiblement surpris.
- De quoi, quoi ?
- Un trafiquant de quoi ?
- Ben de drogue, pardi ! Mais, vraiment,
les gars, vous me faites peur quand vous êtes dans cet état.
- Et tu crois à ces sornettes, toi ?
- On raconte aussi que ce serait un agent secret, intervint Cécilia qui s’était faite discrète sur le sujet jusqu’alors.
- On pourra raconter ce que l’on veut, dit Greg, considéré comme le sage de la bande. Toujours est-il que lui-même ne sait plus qui il est !
Jean-Charles, le fils de bonne famille, s’ennuyait ferme chez lui. Il trouvait un peu d’activités et d’aventures auprès de ses camarades avec qui il passait ses vacances et
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ses jours de congé, quand l’emploi du temps familial et les contraintes scolaires le lui permettaient, évidemment.
Ils partageaient avec lui sa passion pour l’archéologie. Ils trouvaient toujours le moyen de s’occuper, ces jeunes. Toujours à chercher, à fureter, à éplucher les livres et les témoignages anciens. Ensuite, ils allaient se balader dans les dunes surplombant l’océan ou dans les forêts et tentaient d’identifier les sites. Toutes les époques les intéressaient : préhistoire, époque gallo-romaine, Moyen- Âge, seconde guerre mondiale.
Et la région était riche de ces témoignages d’un autre temps, d’une vie exaltante, d’une extrême diversité. Aussi, les blockhaus allemands de la guerre 39-45 côtoyaient les menhirs et autres nécropoles datant du néolithique.
Oui, vraiment, ils étaient plutôt chanceux de ce côté-là ! Et en plus, ils savaient apprécier cette chance. Là où d’autres de leur âge auraient ignoré ces opportunités, ils en profitaient au maximum, savourant chaque moment.
-Bon!Allez!Onselefaitcedoubleou quoi ? Je commence à me refroidir, moi, cria
Damien qui avait repris sa place au fond du
court.
- Juste quelques secondes d’échauffement
et j’arrive, lui répondit Jean-Charles qui avait déjà revêtu sa tenue.
- Waouh ! s’exclama Greg, ça en jette tes fringues ! T’es sponsorisé ou quoi ?
Jean-Charles était comme ça : toujours les plus beaux habits, toujours à la pointe de la mode pour le sport. Fils unique, ses parents le gâtaient et cédaient à ses moindres désirs, dans la mesure du raisonnable, bien sûr. Et pour le sport, ils ne lésinaient pas, estimant que le point de départ des performances se situait dans l’équipement. Pour eux, c’était presque aussi important que l’entraînement.
Aujourd’hui, il arborait fièrement la réplique des habits du dernier prodige espagnol du circuit professionnel, ce qui provoquait l’admiration de ses camarades, T-shirt sans manches, bermuda en dessous des genoux, baskets en cuir et à la place de l’inévitable casquette, un bandana aux couleurs criardes. Tout comme son idole du moment.
- C’est la grande classe, dites donc, appuya Cécilia, monsieur sort le grand jeu !
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