LE CHAT QUI AIMAIT LA MER - Alain Seyfried
PREMIÈRES PAGES
PRÉFACE
Par Brigitte Bardot
J’ai un immense respect pour les gens qui se penchent d’une manière ou d’une autre sur la vie des animaux, car c’est une façon de les aider à survivre dans ce monde impi- toyable.Les chats, en général mal connus, mal aimés, sont devenus, à cause de leur prolifération anarchique, les bêtes noires de notre société.
En lisant l’histoire de « Smoky », nous voyons au contraire le monde à l’échelle du chat, le regard qu’il porte sur les hu- mains devient notre regard : Alain Seyfried a su avec beau- coup de talent et d’humour nous faire partager cet univers « vu du chat ».
Car nous avons beaucoup à apprendre de ces extraordi- naires petits félins aussi doux que des peluches et presque aussi cruels que des hommes lorsqu’ils chassent !
Les chats sont des sages, ils utilisent leur patience à toute épreuve, ils reconnaissent ceux qui les aiment, mais ils ne sont jamais serviles même s’ils vous choisissent.
Ne les laissons pas se multiplier. Pour leur bonheur et leur bien-être, évitons-leur la triste fin de l’euthanasie, du laboratoire, de la capture atroce par les sociétés spécialisées, engagées à grands frais par les municipalités, les empoison- nements, le fusil des chasseurs, ou encore le dépiautage de
leur fourrure très prisée pour les doublures et les pelisses. Il vaut mieux moins de chats, mais des chats heureux !
« Smoky » est un aventurier en nœud papillon, un opti-
miste qui en a vu des vertes et des pas mûres. Avec lui vous ne vous ennuierez pas et, qui sait, peut-être vous donnera-t- il l’envie d’aller adopter un de ses frères ou sœurs de misère dans le refuge le plus proche !
C’est ce que j’espère de tout mon cœur,
PROLOGUE
Je suis très connu dans mon quartier.
Il faut dire qu’avec mon pelage en forme de smoking noir ouvert sur un plastron blanc et le nœud papillon que mon maître a fixé à mon collier antipuces, je ne passe pas ina- perçu.
Loin de moi l’idée de me plaindre de cette notoriété : elle m’a rendu familier de la quasi-totalité des maisons des alen- tours, ma fière allure me permettant même d’être accueilli avec effusion là où la plupart de mes congénères ne sont re- çus qu’à coups de balai. « Smoky ! Smoky ! » : tout le monde m’appelle par mon prénom.
Pas étonnant que, de l’impasse du Vieux Bourdon à la montée Montplaisir, de la rue des Oursins Dépeignés à la place des Trois Odeurs, je sois, dans tout le Roucas Blanc, voire dans tout Marseille, le chat le plus au fait de tous les grands et petits secrets.
Modestie mise à part, je peux même vous confesser que je suis également célèbre dans quelques autres endroits de par le monde, de préférence là où la mer n’est pas loin, parce que je l’adore : aux Antilles, en Toscane, à Venise, et jusqu’à Rome, excusez du peu !
Comment est-ce possible ? Ah, justement ! C’est là qu’est toute l’histoire.
* 11
PREMIÈRE PARTIE
Jeunesse
Dans mon quartier
Vous voyez cette maison mauve, avec sa treille horizon- tale courant sur la façade ? Dans l’Impasse des Lauriers, c’est une de celles que je préfère. Pas à cause du rez-de-chaussée, non, au rez-de-chaussée l’homme et la femme m’ont souvent donné la chasse avec une grande détermination ; à cause du premier étage où dort la petite Nelly.
La première fois, c’était un soir d’été. J’avais grimpé sans bruit sur la treille et je progressais silencieusement le long de la maison, quand je ressentis des ondes humaines de tris- tesse, presque de désespoir. L’homme et la femme prenaient le frais en bas, devant leur porte. Je redoublai de précaution et m’approchai d’une fenêtre entrouverte d’où me parve- naient à présent des sanglots étouffés.
Un bond, et me voilà sur l’appui de ciment. Je renifle l’ouverture. Effluves sucrés d’enfant. Deux ou trois coups de patte, un saut sur le plancher. Je la vois. Elle est sur le côté, les yeux fermés. Elle pleure. De petits soubresauts. Je m’ap- proche encore. Encore. Elle ouvre les yeux. Je la regarde. Elle me regarde. Elle tend la main : « Chat ».
Je suis couché contre elle. Au creux de ses bras. Mes moustaches la frôlent. Elle sanglote. Je me pelotonne. Je ronronne. La nuit est tombée. « Chat ». Elle se calme. Elle s’endort en me serrant. C’est chaud. Il fait bon. Le grand til- leul se balance. Aïe ! Un bruit. On monte. C’est l’homme. Il approche. Je saute sous le lit. Il est là. Je vois ses pieds. Il ferme la fenêtre, reste un moment sur place, puis repart. Un petit claquement : la porte s’est refermée. Me voilà prison- nier. Prisonnier !
15
Nelly me cherche. Elle passe la main sous le lit. Elle est à quatre pattes. Nos museaux se rencontrent. J’ai peur. Mais elle me prend dans ses bras...
Le jour est sur le point d’éclairer l’horizon. Je suis toujours là. J’ai raté l’heure des criquets, raté l’heure des mulots, vais- je rater l’heure des oiseaux ? Ma queue fouette le drap. Nelly soupire. Je saute sur le tapis. Peut-être qu’en tirant avec une griffe... Non. L’autre... Pas davantage. Miauler ? Attention, l’homme n’est pas loin. Essayer encore. Crac. Crac.
Nelly m’a vu, elle a rouvert la fenêtre. J’ai bondi. La lavande sent bon. Il y a un peu de rosée. Gentille Nelly. Elle est re- tournée se coucher. Je la devine. Je crois que je l’entends...
Je reviens presque tous les soirs. Nelly s’arrête alors de pleurer. On croit que les chats ne comprennent rien, mais ils comprennent les larmes : ils savent les sécher.
Dans la journée, même si je suis occupé à trouver de l’ombre, à guetter les lézards du mur de madame Fauburge, même si je perds de vue les hirondelles, je m’arrange toujours pour grimper sur le vieux figuier derrière le garage. Nelly est accroupie. Elle observe les fourmis. La femme passe la tête de temps à autre. Ondes humaines pas très câlines. Mais je surveille.
Un jour, j’ai entendu claquer une portière. Nelly a couru. « Papa ». Elle est partie très vite.
Je monte par la treille. Son lit est là. Ses poupées. C’est vrai que les chats ne peuvent pas tout comprendre. Mais je sais qu’elle reviendra. Alors je garde pour elle tout plein de ronronnements.
*