13 JOURS AVANT LA NUIT - Richard MOREL
Actu LA MARNE
Île-de-France
Seine-et-Marne
Magny-le-Hongre
Cet habitant de Seine-et-Marne publie son deuxième roman
Mardi 2 janvier, le roman de Richard Morel, 13 Jours avant la nuit a été publié aux éditions Morrigane. Il s'agit du deuxième roman de l'écrivain, résidant à Magny le Hongre leHongre.
Richard Morel, auteur résidant à Magny le Hongre, vient de publier son deuxième roman, 13 Jours avant la nuit. ©AG/La Marne
Par Andya Gomichon
Publié le 20 Jan 24 à 10:00
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Obtenir la vie éternelle à l’aide d’un virus est-il une bonne idée ? Pas selon le dernier roman de Richard Morel. L’auteur, résidant à Magny le Hongre a vu publier aux éditions Morrigane – une maison d’édition spécialisée dans les romans fantastiques – son deuxième roman : 13 Jours avant la nuit.
Un thriller en Antarctique
L’histoire de 13 Jours avant la nuit se déroule dans une base militaire en Antarctique. Des scientifiques y développent un virus inconnu, censé donner la vie éternelle à quiconque l’ingère. Cependant, le micro-organisme va finir par infecter les membres de la base. C’est dans cet environnement que le capitaine Ridley Hilts devra mener l’enquête.
Ce thriller, presque à huis clos et rempli de créatures monstrueuses, est le deuxième roman de Richard Morel. « J’avais envie d’écrire un thriller en Antarctique. Je n’en avais encore jamais lu, alors je me suis lancé, et le voilà édité ! », sourit le romancier. 13 Jours avant la nuit est disponible depuis le 13 janvier en commande en librairie, sur Amazon et en format Kindle.
L’amour de l’écriture
À 46 ans, Richard Morel a l’écriture dans le sang. « J’écris des histoires depuis que j’ai 13 ans », confie-t-il. Jeune adulte, il se dirige vers des études de cinéma, durant lesquelles il réalise plusieurs courts-métrages. « J’en ai écrit une trentaine et j’ai cédé les droits de deux de mes dix scénarios de longs-métrages à des sociétés de production », continue-t-il.
Aujourd’hui régisseur sur les spectacles du parc Disneyland Paris, sa passion de l’écriture ne l’a jamais quitté. Son premier ouvrage, La danse des Seigneurs, a été publié en 2014, avant d’être réédité en 2019 aux éditions Le Tram Noir. Cette aventure historique a reçu le prix littéraire du Lions Club International IDE.
Si son deuxième roman vient d’être publié, il en est, personnellement, à son huitième ouvrage. « Je vais retravailler chacun de ces livres, puis les présenter à des maisons d’édition. Mon éditrice actuelle semble d’ailleurs intéressée par trois d’entre eux », conclut Richard Morel.
13 Jours avant la nuit, éditions Morrigane, 20 euros.
LES PREMIÈRES PAGES
1. RAPPORT D’ÉVENEMENTS
En date du
___/___/___ (non connue)
Sujet : Capt. Ridley Hilts
N° matricule : 53 310 761
Le Capitaine Ridley Hilts quitta Miami le 31 juillet
de cette année.
Son ancien commandant lui avait donné son
dernier ordre de mission avec une émotion non dissimulée : il
devait se présenter, après sa permission d’une semaine, à huit
heures du matin auprès de ses nouveaux supérieurs.
Il avait ajouté qu’il pouvait s’attendre à passer une série de
tests, pour contrôler son aptitude à effectuer au mieux cette
nouvelle et mystérieuse affectation. Mystérieuse, car il ne
pouvait rien lui apprendre de plus.
La semaine passa aussi vite qu’un Falcon F15. Ridley se
retrouva avec une impression d’instantanéité le jour de la
reprise du service.
Il sortit dans la rue à l’aurore. Un courant d’air chaud et
moite le caressa. Il marqua un temps sur le perron de l’étroit
immeuble où un couple d’amis l’avait hébergé durant cette
semaine de liberté.
Il contempla les légères volutes de condensation s’élever
de la chaussée humide, les couleurs dorées de l’aube donner
vie aux imposants immeubles qu’il imaginait, n’y prêtant que
peu d’attention, froids avec leurs façades de béton grisâtre.
Cette ville, d’ordinaire véritable fourmilière, lui apparut ce
matin-là paisible, obéissant à une logique organisée,
prévisible : la ville se réveillait et les personnes que son regard
embrassait lui apparaissaient comme des automates
effectuant, de nouveau, les mêmes gestes maintes fois
exécutés.
Il s’attarda ainsi plusieurs minutes. Avait-il un sentiment
prémonitoire de ce qui l’attendait ? Non… Il ressentait une
sensation positive, et en aucun cas de l’appréhension. Il se
sentait réellement heureux, comme chaque fois, de partir sur
un nouveau théâtre d’opérations.
Un vent chargé de poussière lui fit cligner des yeux. Il
revint à la réalité de son départ. Il vérifia une nouvelle fois le
contenu de son sac à dos puis la fermeture éclair de chaque
poche de son blouson. À l’aube de ce nouveau départ en mission,
pensa-t-il, tout ce qui serait perdu ou oublié le serait pour ainsi dire
définitivement…
Après ces vérifications, il descendit d’un pas léger et rapide
sur le trottoir au bitume craquelé par le dernier hiver. Il
commença à s’éloigner quand il entendit son ami Daryle :
— Ridley ! T’as oublié ton cadeau !
Ridley se retourna et sourit en voyant la tête de Daryle
dépasser de la porte entrouverte. Il le connaissait depuis
l’enfance, depuis que Cassy, sa plus vieille amie, le lui avait
présenté. Il fut soulagé que ce fut lui et non elle qui s’aperçut
de son départ en catimini.
Les cheveux en bataille, le visage encore fripé de sommeil,
Daryle vérifia qu’il n’y avait pas trop de monde dans la rue
puis il rejoignit Ridley, fermant d’un coup sec sur son ventre
rebondi et nu la fermeture éclair de sa veste de survêtement
bleu clair. Les claquements que produisirent ses tongs
contribuèrent à augmenter l’hilarité de Ridley. Pourtant,
Daryle affichait un air consterné :
— T’allais encore partir sans dire au revoir…
— Tu sais que j’n’aime pas ça. On a eu toute la soirée d’hier
pour fêter mon dernier jour de perme.
— Peut-être, mais Cassy déteste que tu fasses ça !
— Écoute, tu l’embrasseras pour moi et tu lui diras à
nouveau à quel point je vous suis reconnaissant de m’héberger
à chacune de mes permissions.
— Bon. Mais tu pourrais au moins prendre la GoPro que
je t’ai achetée, non ?
— Daryle… Tu sais que je ne peux pas filmer mes
missions… S’ils s’aperçoivent que j’ai ce type d’appareil, ils
seraient capables de me refuser le départ !
— Mais prends-la quand même ! Ils n’ont rien voulu te
dire, tu vas sûrement être sur un projet top secret ! Y aura
sûrement des trucs louches… et mettre des preuves de côté,
ça peut être bon, même pour toi !
— Toi et tes lubies de conspiration… Je travaille pour
l’armée, pas pour la CIA…
Ridley consentit à prendre la caméra et la glissa dans la
poche de son blouson avec son smartphone tout aussi
interdit. Ainsi, il songera à les mettre tous deux dans son
coffre personnel à la base…
— Putain, reprit Daryle en l’examinant d’un air hagard,
c’est tout ce que t’emmènes, pour deux semaines ? Tu vas où
déjà ?
— Arrête, tu sais que je ne te dirai rien… Et de toute
façon, je ne connais pas encore ma destination. Pour ce qui
est de mes bagages, je n’ai besoin de rien d’autre, je n’ai pas
envie de perdre du temps à trimbaler tout un tas de trucs
derrière moi !
— C’est une drôle de vie quand même, lança une voix
féminine.
Ridley et son ami se tournèrent vers la porte : Cassy
descendait à son tour les quelques marches du perron pour
venir se blottir contre Daryle.
— Tu allais encore nous quitter en scred ! Encore une fois !
Contraint à faire ses adieux, Ridley sourit et se rapprocha
d’elle afin de l’embrasser. Elle tendit mollement la joue vers
lui sans se départir de son air rancunier.
— À bientôt vous deux ! lança-il. Prenez soin de vous !
Ridley se rapprocha de sa Ducati Monster.
— Fais bon voyage, lui souhaita Daryle, et pense à filmer !
— J’essaierai, mentit Ridley.
— C’est bon, intervint Cassy d’un ton moqueur, ne te la
raconte pas ! T’es qu’un chauffeur de poids lourds volants !
— Oui, c’est vrai, admit Ridley une fois installé sur sa
machine. Et j’aime ça ! Alors, faut pas que je sois en retard !
Il lui fit un clin d’œil avant d’enfiler son casque et, voyant
qu’elle s’apprêtait à ajouter quelque chose, il démarra le
bicylindre et donna quelques coups d’accélérateur. Cela fit rire
Daryle qui serra sa compagne dans ses bras. Ridley vit à cet
instant, dans son regard à elle, cette même lueur qu’elle avait
eue, le prenant à l’écart lors de la soirée donnée pour célébrer
son retour, une semaine plus tôt…
Il chassa ce souvenir et appuya du pied sur le sélecteur de
vitesse. L’engagement de la première fit trembler toute la
machine. Il démarra en douceur sans plus se retourner vers ce
couple d’amis qu’il connaissait à tel point qu’il faisait comme
partie de sa famille.
*
Ridley, de peur d’être en retard, prit au plus court. Les
voitures commençaient à s’agglutiner ; elles allaient bientôt
former des bouchons interminables, s’immobilisant dans une
atmosphère nauséabonde de pollution, les automobilistes
braillant à tue-tête au gré de leurs klaxons.
Il fallait à tout prix éviter le blocage complet : Ridley
slaloma avec de légères pressions sur la poignée des gaz. Il
espéra alors que son nouveau supérieur l’enverrait à un
endroit sans bouchon ! Il allait être servi…
Malgré les difficultés, Ridley parvint à quitter la ville sans
accroche et, une fois les axes principaux bondés laissés
derrière lui, il se pencha en avant et tourna l’accélérateur à
fond. La roue avant décolla puis se reposa avec légèreté. Le
soleil était monté dans le ciel et commençait déjà à tout brûler
de ses rayons. Ridley baissa la fermeture éclair de son
blouson A-2 usé. Il s’amusa à négocier avec légèreté chaque
virage de la route déserte et arriva à la base et à sa nouvelle
affectation.
Il gara sa moto tout au fond du parc couvert d’un toit
ondulé. Là, elle pourrait dormir sans risque toute la durée de
la mission. Ses échappements brûlants cliquetèrent alors qu’il
s’écartait vers le baraquement où un casier comportait à peu
près tout ce qu’il possédait d’effets personnels.
Il y abandonna sa tenue de civil, mais garda son blouson,
un cadeau de l’armée qu’il portait à chacun de ses vols.
Bien sûr, il déposa dans son casier la caméra ainsi que son
portable. Une nouvelle affectation, c’était pour ainsi dire
comme un premier jour d’embauche donc : hors de question
de mal commencer.
Une fois ses préparatifs achevés, il retourna à sa moto. Il
effleura les échappements pour en contrôler la température,
put y poser la main sans se brûler, débrancha la batterie puis
couvrit sa Monster d’une bâche en prévision d’une longue
absence.
Il se présenta à la secrétaire de son nouveau supérieur. Il
resta droit devant son bureau le temps qu’elle le prévienne. Le
regard de Ridley se glissa par la fenêtre pour admirer les
différents avions de transport militaire manœuvrer sur les
pistes.
Il espéra être chargé des commandes d’un C-17. Il avait
déjà piloté ce mastodonte quadriréacteur au Moyen-Orient et
il le préférait de beaucoup à l’autre avion de transport lourd,
le Lockheed C-5 bien qu’il soit plus petit. Le McDonnell
Douglas C-17 pouvait se poser sur des timbres-poste avec ses
volets soufflés ! Ridley songea aussi aux deux hommes qui
l’accompagneraient s’il devait embarquer sur cet appareil :
copilote et préposé au fret… Serait-il chargé de transport de
troupes pour changer ?
Cette rêverie fut de courte durée. La porte qui le séparait
de toutes les réponses à ces questions s’ouvrit et il fut invité à
entrer dans une pièce étroite.
Celle-ci comportait un unique bureau métallique. Sur l’un
des côtés, une étagère emplie de dossiers et de paperasserie,
sur l’autre, une armoire métallique à verrou dissimulait en
partie des murs gris. À la gauche de la porte d’accès excentrée,
une carte du globe démesurée portait de nombreuses
inscriptions.
Cinq personnes l’attendaient. Elles se mirent à l’observer
avec avidité. Le général se rassit derrière son bureau. Un
homme, habillé de la même manière que Ridley, mais plus
chaudement, se tenait à l’écart. Malgré les cheveux gris de
celui-ci, Ridley déduit de son aspect de baroudeur qu’il ferait
partie de son équipage.
Les autres personnes avaient des visages neutres ; ils
portaient des costumes civils noirs. Deux d’entre eux étaient
assis aux côtés du général. Le troisième l’avait invité à entrer
et restait sur le côté penché sur un énorme dossier.
Ridley ne perdit en aucun cas ses moyens. Il se concentra
sur ses espérances d’affectation.
Il se redressa face au général et salua. Celui-ci répondit à
son salut et Ridley soupçonna qu’il devait s’agir d’une mission
d’importance capitale vu l’air autoritaire et scrutateur que tous
affichaient.
— Nous sommes heureux de vous rencontrer, capitaine
Hilts, lui affirma-t-il en guise d’introduction. C’est moi qui ai
retenu votre dossier parmi bien d’autres et qui l’ai présenté à
ces messieurs. Avant de détailler la tâche que vous aurez à
accomplir, nous aimerions savoir une chose : seriez-vous
prêt…
Il marqua alors un temps. Cherchant le mot le plus
approprié, il interrogea du regard l’un des hommes installés à
son côté, avant de reprendre :
- À vous fixer à un seul type de mission… Ce travail
que nous aimerions vous confier vous prendrait une à deux
semaines par mois, guère plus. C’est une affectation définitive.
Vous me comprenez bien ? Il consiste à effectuer des missions
au niveau de confidentialité le plus haut. Nous affectons des
permanents à cette tâche.
— Général, vous savez que je suis à la disposition du corps
des armées pour effectuer tous les types de missions que l’on
me confiera. Avoir du temps libre n’est pas une de mes
priorités… Puis-je vous demander ce qui vous a amené à me
sélectionner ?
— Il s’agit d’effectuer des transports. Réapprovisionner
l’une de nos bases. Ce seront des vols longs et le chargement
pourra être, comment dire, sensible, vous me comprenez ? Le
type de chargement qui ne doit être perdu sous aucun
prétexte ! Le commandant Clim… (le général désigna le vieil
homme que Ridley avait remarqué en entrant) a effectué ce
vol plus de sept cents fois. Mais à présent, il va nous quitter et
partir en retraite. Nous cherchons à le remplacer. Vos états de
service vous désignent tout particulièrement pour effectuer
ces vols. La haute confidentialité veut que vous soyez seul,
donc totalement autonome et exige, je vous le répète, votre
affectation définitive. Votre dossier est suffisamment étoffé
pour que nous soyons rassurés sur votre sens du devoir et vos
capacités de pilote ; nous savons qu’un vol d’essai ne sera pas
nécessaire. La seule réelle question est de savoir si ce type
d’affectation vous intéresse. D’après votre dossier, vous avez
pas mal d’activités extra-armées : voyons… voltige… courses
aériennes… Peut-être qu’à trente-cinq ans, il serait temps
d’avoir une vie plus… posée ? Cette affectation le permet.
Qu’en dites-vous ?
Le général faisait de toute évidence allusion aux relances
insistantes effectuées par Ridley — et qui devaient figurer
dans son dossier — quand l’armée l’avait laissé une longue
période sans mission. On l’avait maintes fois informé que lui
seul montrait un tel acharnement. Ses confrères pilotes se
moquaient de lui en affirmant qu’il ferait mieux de se trouver
quelqu’un… Mais il avait choisi cette carrière pour ne jamais
connaître la routine et pour voler ! D’un autre côté, songea-t-
il, étant donné son âge, peut-être fallait-il qu’il pense à prendre
un poste sur du long terme. Il aurait ainsi la garantie de ne plus
avoir de longues périodes creuses et, de plus, ces mystérieuses
missions ne semblaient pas de tout repos.
— Serait-il possible de savoir quel avion me sera confié,
général ?
Cette question en guise de réponse fit rire le général. Ce
dernier ne se doutait pas de l’importance que cela avait pour
un homme qui, comme Ridley, avait l’aviation dans la peau.
— Vous pourriez être amené à piloter plusieurs types
d’appareils, capitaine, mais la majeure partie de vos missions
se fera sur un modèle que tout passionné d’aéroplanes rêverait
de piloter !
Il lança un regard au vieil homme. Ridley se tourna alors
vers celui-ci. Il décela une lueur dans ses yeux qui l’encouragea
à croire le général sur ce point.
— Bon, où dois-je signer ? demanda-t-il.
Un nouveau rire du général éclata dans la pièce.
Il se tourna vers les deux hommes en costume.
L’un d’eux prit la parole :
— Comme l’a expliqué monsieur le général, nous avons
étudié votre dossier et il ne nous semble pas nécessaire de
vous faire passer les tests d’usage. Nous nous contenterons de
quelques questions. Il semble que vous avez été capturé en
Afghanistan, n’est-ce pas ?
Ridley ressentit, malgré sa volonté de ne pas se laisser
déstabiliser, un coup terrible à l’énoncé de ce souvenir
traumatisant et il ne sut que répondre.
— Il est dit dans votre dossier que le commando vous a
sauvé in extremis, sans quoi, vous seriez mort sans avoir parlé,
est-ce vrai ?
Ridley tenta de choisir ses mots avant de répondre, mais,
malgré lui, il se dévoila bien plus qu’il ne l’aurait voulu :
— Seule ma condition physique m’a aidé à subir cet
événement ; ainsi que mes convictions…
— Vos convictions ?
— Je… j’ai été initié lorsque je servais en Extrême-
Orient à des choses qui m’ont parlé… et servi…
— De quelle manière ?
Ridley comprit qu’il n’y échapperait pas ; ces hommes
désiraient le voir sous pression. Il lui fallait essayer de
s’enfermer dans un coin de sa tête et raconter ce que sûrement
ils savaient tous déjà.
— J’ai passé deux mois, enfermé dans le noir… seul.
Quand on me sortait de là, c’était pour m’en foutre plein la
gueule et me questionner… Ces gens m’en voulaient pour ce
que je représentais… On venait de saccager plusieurs villages
en ne laissant aucun survivant… Sous-alimenté… j’ai dû
prendre ce que je trouvais : insectes, rongeurs… Je n’avais pas
vraiment d’espoir que l’on mette d’autres vies en danger pour
sauver la mienne… Dans ces conditions… J’ai cru être
devenu… enfin… vous vous enfoncez, puis… un jour…
Vous avez une sorte d’éclair… comme extérieur à votre corps,
une image s’impose à vous… Celle qui représente ce que vous
êtes devenu ! Une bête… Pire, vous vous voyez comme eux,
ils vous voient, un monstre… Et ça… à accepter… alors…
assis dans le noir… j’ai fixé ce que je croyais être un infime
point de lumière, je crois qu’il filtrait à travers une fissure du
mur… voyez ? Je me suis concentré dessus… À ce point
épuisé, votre cerveau est comme une pâte, facile à modeler…
C’est facile de vous faire parler… Mais, je me suis concentré
au point de revoir le visage de l’homme qui m’avait appris
cette technique de centralisation… À partir de là… je ne me
souviens plus du reste de ma captivité… J’ai observé chaque
seconde nouvelle en effaçant la précédente… Les hommes
chargés de m’interroger ont dû me croire fou… Il n’y a qu’à
l’énoncé de mon nom, aux sonorités de ma langue maternelle,
que j’ai rouvert ma perception… ma sensibilité, à ce qui
m’entourait… Le soldat du commando, en m’appelant par
mon nom et en me disant que mon tourment était fini… a
rouvert la porte sur la lumière…
Pendant tout ce temps où Ridley se livrait, hésitant pour
choisir chaque mot, il fixa cet homme droit dans les yeux. Il
n’arrivait pas encore à parler de ce passage de sa vie sans en
ressentir toutes les formes de douleurs. Cela le torturait encore
et encore malgré les années qui avaient passé ; et fixer cet
homme l’empêchait de trop retourner dans ce souvenir.
Une fois les derniers mots prononcés, il cassa le lien établi
avec lui et se tourna vers les autres personnes présentes. Ceux
qui n’avaient pas détourné les yeux le fixaient, dévorant ses
paroles. Parmi eux, seul le vieil homme au blouson de cuir
semblait ressentir une véritable empathie pour lui.
— Oui… Bien. Vous avez également participé à quelques
combats, essuyé le feu de…
Ridley eut du mal à se concentrer sur l’énumération de ses
états de service. Il ne s’attendait pas à être interrogé sur les
tortures qu’il avait subies. La plupart du temps, les gens
avaient la délicatesse de ne pas aborder ce sujet. Cela le
troublait à ce point qu’il ressentait une forte animosité pour
cet homme et l’envie de quitter au plus vite cet endroit.
Pourtant, il comprenait son but, il le trouvait même louable et
il savait qu’il ne fallait pas flancher à cette première agression
faite à dessein.
Ainsi, il s’efforça de retrouver son calme et il attendit en
silence que ce soit fini pour demander, avec un sourire qu’il
espéra franc et innocent afin de masquer son désarroi :
— Je ne comprends pas, Monsieur, l’importance qu’ont
pour vous mes faits d’armes. Le général affirme que c’est un
boulot peinard de convoyage ?
Tous rirent et le petit homme, de toute évidence peu
habitué à faire passer des entretiens d’une telle intensité reprit,
sans quitter Ridley des yeux, d’une voix plus aiguë :
— Oui, c’est vrai. Votre mission consistera à faire la liaison
avec l’une de nos bases secrètes. Un psychologue vous suit
depuis votre retour de captivité. Votre médecin, le
commandant Hiber, nous assure que vous êtes digne de
confiance. Cette base crée de nouveaux armements. Pour que
cette tâche se fasse sans risque, elle est extrêmement isolée,
c’est tout. Désirez-vous du temps, peut-être, pour prendre
votre décision ? Nous devons être sûrs.
Un minimum depersonnes doit être dans le secret de l’existence de cette base
et encore moins en état de la situer…
— Non Monsieur. Je suis prêt à partir dès que vous le
jugerez nécessaire ! Vous m’en avez donné l’eau à la bouche,
je veux parler de cet avion si légendaire, bien sûr…
À nouveau, toutes les personnes présentes semblèrent
réjouies de la bonne tournure de cet entretien.
Ridley dut ensuite signer une dizaine de formulaires. Le
stylo à la main, il n’hésita pas une seconde à y apposer son
nom, acceptant ainsi l’affectation qui allait l’emmener au cœur
des événements les plus effroyables de notre temps.
Il fut abandonné aux bons soins de l’homme à l’allure de
vieux baroudeur, le commandant Leslie Clim. Quelques
semaines plus tard, se remémorant cet entretien, Ridley prit
conscience que ces messieurs en costumes ne lui avaient
même pas été présentés.
*
Le vieil homme emmena Ridley déjeuner au mess afin
qu’ils fissent connaissance. Leslie Clim se montra jovial
malgré son visage bourru aux traits marqués par l’usure du
temps et une vie pleine de péripéties. Ses cheveux formaient
de denses bouclettes argentées. Il avait d’ailleurs le tic d’y
passer sa main épaisse pour les plaquer en arrière, allant
parfois jusqu’à les tirer de sa forte poigne avec rudesse. Une
moustache drue gigota sous son nez alors qu’il raconta — et
Ridley trouva cela interminable — tout un tas d’anecdotes
aéronavales. Il ne put en définitive rien apprendre sur leur
future tâche.
Enfin, Clim se décida à l’emmener à leur avion.
Ridley sentit une nouvelle dose d’excitation et laissa son
esprit s’aventurer à toutes sortes de spéculations : un avion de
transport ? Était-ce le V-22 Osprey ou un appareil plus
étonnant encore, peut-être l’un de ces bombardiers furtifs à
réaction…
Ridley s’aperçut qu’il marchait bien plus vite que son guide,
se retournant toutes les dix secondes pour lui poser des
questions alors qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où ils se
rendaient. Ils arrivèrent enfin à un hangar et Ridley, poussé au
paroxysme de l’impatience, remarqua que ses dimensions ne
permettaient pas de contenir ces monstres que sont le C17 ou
d’autres avions militaires de sa catégorie. Pourtant, Ridley
gardait l’espoir de découvrir un V-22, le fascinant hybride. Le
commandant Clim passa par la porte du rideau métallique.
Ridley le suivit et découvrit, avec stupéfaction — et une
profonde déception — un quadrimoteur qui ressemblait à l’un
de ces bombardiers lourds qui avaient servi durant la Seconde
Guerre mondiale.
Il ne voulut tout d’abord pas y croire.
— Un avion à hélices ?
— Il est magnifique n’est-ce pas ?
Il se dirigea vers un petit homme nerveux, sans doute le
préposé au chargement. Ridley courut derrière lui :
— Mais ce n’est pas un peu rudimentaire pour transporter
des cargaisons dangereuses ?
Clim prit le temps de se tourner pour lui expliquer :
— Tu te doutes bien qu’on l’a modifié. Il est pressurisé,
contrairement à l’original, et ses moteurs ont été gonflés. Un
radar remplace les mitrailleuses de la tourelle de menton de ce
B17G. Cet avion est une parfaite couverture. Il attire
l’attention, mais pas sur ce qu’il transporte. Il est connu ! Tu
auras d’ailleurs à voler lors de différentes manifestations
aéronautiques où l’USAF est conviée. Tout le monde est
persuadé que l’armée le garde en souvenir de cette période
marquante de la 8e Air Force… Mais la réalité est tout autre.
Il est de petite taille, il peut transporter de lourdes charges et,
malgré cela, parcourir de longues distances ; il peut se poser et
décoller de pistes plus que rudimentaires et enfin, il peut voler
avec deux moteurs coupés ! Ce n’est pas un vieux clou :
n’oublie pas que le C130 n’est pas beaucoup plus jeune que ce
B17 ; 1952, si je ne m’abuse ! Ça ne l’empêche pas d’être
toujours présent dans presque toutes les armées. Sauf que lui,
quand on le voit, on sait tout de suite qu’il transporte du
personnel ou du matériel militaire. Hé ! T’en prendras soin,
hein ? Parce que ce B17 est le dernier qui vole encore pour le
service…
Ridley le jaugea pour savoir s’il se moquait de lui, mais la
réponse s’avérait de toute évidence négative. De plus, ce vieil
homme avait manifestement d’immenses regrets à quitter un
avion qui, aux yeux de Ridley, aurait dû trouver sa place dans
un musée depuis longtemps.
Le vieux prit son air hagard pour un acquiescement.
— Viens ! Suis-moi. Il faut que je te montre tout avant
notre prochain départ ! En réalité ta nouvelle tâche n’aura rien
de difficile. Le transport, comme ils te l’ont dit, prend à peu
près une semaine. Trois jours aller, trois jours retour. Cinq
points de ravitaillement en carburant sont nécessaires pour
rejoindre la base à livrer. Ils se font sur des bases de moindre
importance et des aérodromes isolés. On en profite alors pour
se tenir au courant des éventuels changements à apporter à la
cargaison. Les communications sont codées. Le reste du mois,
tu te tiens à disposition en cas d’urgence. Si un problème
survient sur cette base lointaine, sache qu’ils ont tout sur place
pour y remédier. Ils n’appelleront à l’aide que pour un manque
de vivres ou pour quelque chose de ce genre. Dans ces cas-là,
tu auras peut-être à utiliser un autre appareil plus rapide. Une
fois sur place, il ne faudra pas hésiter à demander aux
occupants de la base, mais avec discrétion, en particulier quoi,
s’ils ne leur manquent pas quelque chose. Ils sont si isolés…
Je me demande comment ils font pour ne pas retourner à l’état
animal. Faudra pas leur en vouloir s’ils ont un comportement
un peu étrange… De toute façon, tout ça est surveillé, et c’est
aussi notre rôle de les ramener pour leur faire prendre des
vacances… Après chaque aller-retour, tu fourniras un rapport
sur leurs stocks — le colonel de la base tient tout ça à jour —
et sur tout ce que tu pourrais remarquer d’anormal, comme
un comportement extrême ou quoi que ce soit d’autre… Tes
impressions ont leur importance. Enfin, que tu trimbales du
matos ou du personnel (l’avion se modifie aisément pour ça)
dans le cadre de ta mission mensuelle, tu ne resteras là-bas
qu’une seule journée !
*
L’heure fixée pour le départ parut arriver de manière
presque instantanée tant Clim expliqua à Ridley de choses sur
cet avion ! Ils eurent, de plus, une montagne de préparatifs à
terminer et de paperasserie à remplir. Leslie avait décidé de le
laisser tout faire.
Le cockpit du B17, qui, dans son modèle d’origine,
nécessitait la présence d’un copilote, avait été repensé en
totalité pour pouvoir être fonctionnel en vol solo. Ainsi,
toutes les commandes de démarrage et de gestion des moteurs
— sur les anciens modèles tout à droite du tableau de bord —
avaient été ramenées à la portée du siège de gauche. Les
voyants de contrôle des moteurs remplaçaient maintenant
ceux du système respiratoire des pilotes de la Seconde Guerre
qui portaient des masques à oxygène. Pour finir, tous les
instruments de vol, altimètre, anémomètre, etc., avaient été
abandonnés pour un système PFD, un écran d’indication de
navigation ainsi qu’un EICAS et le pilote auto avait été
remplacé par son descendant le plus moderne.
Ridley, malgré sa réticence toujours présente, prit un
immense plaisir à démarrer chacun de ses quatre moteurs en
étoile puis à rouler sur la piste jusqu’à l’alignement. Ces
moteurs avaient un son incroyable.
Dès que l’autorisation de décoller lui fut donnée, il bloqua
la roulette de queue, sortit un tiers des volets et poussa avec
douceur les quatre leviers des gaz. Les moteurs hurlèrent.
L’accélération qu’ils procurèrent le sidéra. Leur puissance
unitaire avait été gonflée à 4 300 chevaux, ce qui n’avait plus
grand-chose à voir avec les 1 200 d’origine. La structure même
de l’avion avait dû, par le fait, être modifiée. C’était un avion
unique.
Il quitta la piste sur une distance si courte que Ridley en fut
sidéré. Ce fut à peine si la queue se leva. Cet avion avait ses
trois roues qui quittaient majestueusement le sol presque au
même instant.
Comme à chaque fois, Ridley prit plaisir à sentir le
détachement avec la terre ferme, cette disparition soudaine du
heurt des pneus dans les cahots de la piste.
Il bloqua les freins, poussa l’interrupteur de rentrée du
train, puis, une fois la vitesse limite atteinte, il rentra les volets.
Il laissa l’avion en montée rapide vers l’altitude réglementaire,
et ne put s’empêcher de se tourner vers le commandant assis
dans le siège du copilote. Celui-ci l’observait avec un fin
sourire auquel Ridley répondit sans se forcer. Il se sentait
comme un gosse le jour de son premier décollage. Il effleura
les commandes de richesse, régla le carburateur et les volets
de capots ainsi que ceux d’intercooler puis il se tourna vers la
ville visible au loin. Il vit ses axes principaux couverts de
voitures. Le trafic du port semblait tout autant saturé
d’embarcations.
La tour de contrôle l’avertit qu’ils quittaient son espace
aérien. Ridley se tourna vers le commandant.
— Alors, quel cap prenons-nous ? demanda-t-il, n’étant
toujours pas au courant de leur destination.
— 1 - 8 - 0, prononça Clim. On va là où il fait froid… Très
froid !